Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 24 - 19 MARS 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

On peut cultiver l’amour plutôt que l’agressivité

Le bouddhiste Matthieu Ricard attire l’attention au symposium du GRIP

La méditation, même à un jeune âge, peut favoriser le développement de l’altruisme et de l’empathie, selon des travaux en neurosciences.

Quelque 300 personnes ont assisté au symposium du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP) et de l’Axe maladie du cerveau du CHU Sainte-Justine le 7 mars dernier. «On a dû refuser presque autant de gens désireux de s’y inscrire», commente le directeur du GRIP et organisateur de la rencontre, Richard Tremblay, qui s’est dit surpris par l’intérêt du public.

Dans la salle Justine-Lacoste-Beaubien de l’hôpital pour enfants, on pouvait voir des chercheurs et des cliniciens, mais aussi plusieurs non-scientifiques, attirés par les propos du moine bouddhiste Matthieu Ricard, venu faire part de ses travaux sur les bienfaits de la méditation. En collaboration avec des chercheurs américains, M. Ricard mène en effet des travaux en neurosciences qui tendent à démontrer que l’altruisme et l’empathie se développent à l’aide de techniques propres à la tradition bouddhiste, vieille de plusieurs millénaires. Ces techniques pourraient même empêcher la délinquance, selon lui.

«Il est possible de cultiver des sentiments d’amour et de compassion», affirme le moine chercheur, qui a publié ses résultats notamment dans une revue majeure, Proceedings of the National Academy of Sciences, en 2004. Grâce à des moines contemplatifs qui se sont prêtés au jeu de l’imagerie cérébrale et des électroencéphalogrammes pendant de longues séances, les chercheurs ont découvert que les ondes gammas étaient beaucoup plus actives lorsque le sujet bien entrainé se concentrait sur des émotions positives.

Selon le fils du philosophe Jean-François Revel, auteur à succès, les enfants qui feraient de la méditation seraient moins agressifs envers les autres enfants. «Le bonheur est une question de volonté, déclare celui qui a fait une thèse sur la génétique cellulaire à l’Institut Pasteur. On peut se sentir misérable dans un petit paradis, et inversement.» D’après lui, on peut s’exercer aux émotions positives comme d’autres pratiquent le tennis ou la course d’endurance.

Matthieu Ricard

L’altruisme et la tradition bouddhiste peuvent se rejoindre, dit Matthieu Ricard.

Des souris et des singes
Le symposium présentait les travaux de quatre chercheurs liés au GRIP: Stephen Suomi, du Laboratoire d’éthologie comparative des National Institutes of Health de Bethesda, au Maryland, reconnu pour ses recherches sur les chimpanzés; Michael Meaney, de l’Université McGill, qui travaille sur les faits déterminants de la petite enfance; Moshe Szyf, de la même université, qui s’intéresse à l’épigénétique; et Sylvana Côté, de l’Université de Montréal, qui se penche sur les trajectoires de développement des garçons et des filles.

Au dire de cette dernière, les garçons sont beaucoup plus enclins que les filles à afficher des comportements associés à l’agression directe plutôt qu’à l’agression indirecte. Or, les valeurs communes n’autorisent pas de tels comportements. La socialisation renforce donc les stéréotypes. Comment intervenir? Mme Côté répond qu’on ne gagnera rien en tentant d’élever les garçons comme s’ils étaient des filles. Même l’intervention auprès des jeunes délinquants semble vouée à l’échec. «C’est en menant des actions auprès des mères, particulièrement des mères sous-scolarisées, de condition socio-économique défavorisée, qu’on obtiendra le plus de succès.»

Même constat du côté de Moshe Szyf, dont les études tendent à prouver que les soins maternels précoces modifient jusqu’à l’expression des gènes. Avec des rats de laboratoire, le professeur du département de pharmacologie et thérapeutique a révélé que le comportement des mères à l’égard de leurs petits provoquait un changement durable dans le marquage génomique de leur ADN. Les ratons qui avaient hérité de mauvaises mères étaient en effet plus craintifs et plus réactifs au stress.

«Les recherches confirment que les mères ont une immense responsabilité pour ce qui est des origines de l’agressivité, dit Richard Tremblay. Quand on tient de tels propos en parlant des rates ou des singes, on ne provoque pas de réactions particulières, mais, quand ces mêmes paroles concernent les femmes, elles soulèvent parfois des tollés. Je me suis fait presque agresser durant un colloque en prétendant qu’il fallait venir en aide aux femmes en difficulté si l’on voulait lutter contre la violence.» Le gens ne devraient pas être choqués d’entendre pareilles affirmations, fait valoir M. Tremblay, puisque c’est aux mères que revient le mérite d’avoir instauré un monde relativement pacifique. «L’humanité est beaucoup moins violente aujourd’hui qu’il y a deux ou trois siècles. Ce pacifisme, on le doit en bonne partie aux mères.»

Mathieu-Robert Sauvé

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