Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 29 - 7 mai 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les Sulpiciens de Montréal: un héritage encore vif

Dominique Deslandres dirige un ouvrage sur 350 ans de «pouvoir» et de «discrétion»

Les Sulpiciens ne voulaient pas d’une hagiographie, précise Dominique Deslandres.

Ils ont été les seigneurs de Montréal. On a dit qu’ils s’étaient enrichis aux dépens des Amérindiens d’Oka et l’on déclare qu’ils jouissent encore de nos jours d’une immense fortune. «Ils ont eu beaucoup de pouvoir, c’est vrai. Mais, en dehors de quelques faits marquants, ils ont été extrêmement discrets», mentionne Dominique Deslandres, professeure au Département d’histoire et auteure d’un ouvrage sur les trois siècles et demi de présence des Sulpiciens à Montréal. De plus, leur «immense fortune» s’est volatilisée à la suite d’une transaction douteuse dans les années 20.

Avec l’aide de ses collègues de l’UdeM John Dickenson et Ollivier Hubert, Mme Deslandres a passé plusieurs mois à reconstituer l’histoire de cette compagnie de prêtres d’origine française en écumant notamment les archives de la congrégation, parmi les plus riches du Canada. L’ouvrage, abondamment illustré, paru chez Fides en mars dernier, présente des chapitres signés par des spécialistes de l’UQAM, de l’Université de Sherbrooke, de l’Université Laval, de l’Université McGill et d’établissements extérieurs.

La société que voulait établir en Nouvelle-France Jean-Jacques Olier, curé de Saint-Sulpice, avec l’aide de quatre ecclésiastiques envoyés à Ville-Marie en 1657, était une véritable utopie. «Ces prêtres sont des fous de Dieu qui pensent fonder une société parfaite, composée de nouveaux convertis et de croyants dévoués», raconte Mme Deslandres.

Rapidement, le rêve se transforme en réalité. La société Notre-Dame, chargée d’administrer les terres, fait banqueroute et les missionnaires sulpiciens doivent s’improviser gestionnaires. Ils deviennent seigneurs un peu malgré eux, mais décident de jouer leur rôle à fond. Ils sont à l’origine de ce qu’on peut appeler le premier «schéma d’aménagement» connu à Montréal. «Ils tracent les chemins, font de la planification urbaine. Encore aujourd’hui, leur héritage est présent autour de nous: les chemins de la Côte-Sainte-Catherine, de la Côte-Saint-Antoire, de la Côte-Saint-Luc, le cimetière de Notre-Dame-des-Neiges...»

650 prêtres
Le nombre de sulpiciens n’a pas cessé de décroitre depuis l’apogée de la congrégation, mais celle-ci n’a jamais été très populeuse. Selon les bases de données consultées par Dominique Deslandres, ils n’auraient été que 650 au total. Mais ils sont scolarisés et très actifs parmi l’élite intellectuelle. Ils auront une grande influence dans l’implantation des écoles et des hôpitaux. Et, dans le domaine des arts, ils sont incontournables.

C’est par leur intermédiaire que le premier orgue fera son entrée à Montréal en 1701, comme l’explique la musicologue Élisabeth Gallat-Morin. Homme de grande culture, François Vachon de Belmont fera installer son instrument à l’église Notre-Dame. Le premier musicien de métier que la ville a connu, Jean Girard, tiendra l’orgue de 1724 à 1765. Jusqu’à Clément Morin, professeur à l’Université de Montréal jusque dans les années 90, les Sulpiciens auront concouru de près à la vie musicale montréalaise.

De même, ils ont été très présents dans la culture littéraire. Considéré comme un produit de luxe au 18e siècle, le livre en langue française connait une diffusion restreinte, surtout après la Conquête. Mais, par le réseau de la congrégation, plusieurs centaines d’ouvrages sont acheminés chaque année vers le Bas-Canada. «Il s’agit d’ouvrages spécialisés destinés aux prêtres, de catéchismes pour les enfants des petites écoles sulpiciennes, de manuels et de dictionnaires pour les collégiens, de livres de piété en français pour les paroissiens alphabétisés, particulièrement pour les membres de confréries», écrit Ollivier Hubert. 

Le 11 septembre 1915, la bibliothè-que Saint-Sulpice, située rue Saint-Denis, ouvre ses portes. On y trouve quelque 200 000 documents. L’immeuble devient vite «le lieu de rendez-vous de l’intelligentsia catholique», comme le souligne l’historien. Olivier Maurault, directeur des activités culturelles à la bibliothèque, deviendra par la suite recteur de l’Université de Montréal.

Des sulpiciens satisfaits
Pour obtenir un ouvrage rigoureux et complet relatant l’histoire de la congrégation à l’occasion de son 350e anniversaire, les sulpiciens Rolland Litalien, Guy Charland et Jean-Pierre Lussier sont venus frapper à la porte du Département d’histoire dès 2004. Les supérieurs provinciaux Lionel Gendron et Jacques D’Arcy, ainsi que Zénon Yelle ont aussi joué un rôle dans ce projet.

C’est Dominique Deslandres qui en a pris les commandes. Moins de quatre ans plus tard, le volume parait. «Les Sulpiciens ne voulaient pas d’une hagiographie, explique l’historienne. Ils nous ont donné accès à leurs archives pour nous permettre d’accomplir notre travail, et sans aucune forme de censure. D’ailleurs, ils n’ont lu le livre que lorsqu’il a été imprimé.»

Le projet a, entretemps, pris des proportions inattendues. Pour illustrer l’ouvrage, on a dû faire appel à des historiens de l’art et au conservateur de l’art canadien au Musée des beaux-arts de Montréal, Jacques Des Rochers, qui n’a pas pris les choses à la légère. En plus de contribuer aux 170 illustrations et aux trois cahiers de 16 pages en couleurs, il a eu l’idée d’organiser une exposition sur l’héritage artistique des Sulpiciens de Montréal. Cette exposition se tiendra l’automne prochain.

Mathieu-Robert Sauvé

Sous la direction de Dominique Deslandres, John Dickenson et Ollivier Hubert, Les Sulpiciens de Montréal: une histoire de pouvoir et de discrétion, Montréal, Fides, 2007, 172 p.

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