Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 31 - 4 Juin 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Le taux de testostérone modifie les fonctions langagières

Des travaux de Charles Lamoureux mettent en doute une interprétation sociolinguistique

Victor Boucher et Charles Lamoureux

Il est bien connu que les femmes sont généralement supérieures aux hommes dans les jeux de lettres et de mots comme le scrabble et les mots cachés. L’étendue du vocabulaire semble également plus grande chez les femmes, alors que les troubles du développement de la parole touchent trois fois plus d’hommes que de femmes.

Certains hommes se distinguent par ailleurs par une prononciation particulière qui a donné naissance à l’expression «la voie gaie». Si les différences intersexes dans les habiletés langagières sont notoires, on n’avait jamais étudié jusqu’ici l’effet du facteur hormonal sur ces habiletés. C’est ce que vient de faire Charles Lamoureux, bientôt doctorant au Département de linguistique et de traduction, qui a mesuré pour la première fois l’effet du taux de testostérone sur deux fonctions liées au langage et à la parole.

La recherche, dirigée par le professeur Victor Boucher, a donné lieu à des résultats inattendus présentés au congrès de l’ACFAS le 8 mai dernier. Elle démontre que le taux de testostérone influe directement sur la vitesse d’accès à notre mémoire lexicale et sur la prononciation des mots.

S’embrouiller dans ses mots
Dans un premier exercice, le jeune chercheur a demandé à une vingtaine de sujets masculins de donner, en 60 secondes, le plus grand nombre de mots valides commençant par la lettre R, exercice répété ensuite avec la lettre L. Des mesures du taux de testostérone ont été prises à l’aide de prélèvements salivaires.

Les résultats indiquent que plus le taux de testostérone est élevé, moins le nombre de mots l’est. «L’individu dont le taux de testostérone était le plus haut a trouvé 18 mots, alors que celui qui avait le taux le plus bas en a énuméré 31, soit presque le double», mentionne Charles Lamoureux à titre d’exemple. La corrélation inverse est significative pour les deux tâches.

L’explication proposée est que la testostérone diminuerait la vitesse d’accès lexicale. «Il est possible que les hommes possèdent un vocabulaire aussi étendu que celui des femmes, mais qu’ils éprouvent plus de difficulté à y accéder», estime l’étudiant.

À l’appui de son hypothèse, il cite des témoignages dans la littérature de transsexuels passés de femme à homme qui soulignent les changements survenus dans leur langage dus à la testostérone: «Je m’embrouille dans mes mots, mon vocabulaire est plus restreint, plus direct et plus concis; je pense moins et j’agis plus rapidement», dit l’une de ces personnes.

Pour le professeur Victor Boucher, l’intérêt de cette recherche est qu’elle permet de prédire les compétences langagières. «Étant donné que le taux de testostérone fluctue selon les saisons, nos performances peuvent varier selon ces fluctuations, signale-t-il. Les résultats ont aussi des répercussions dans le domaine médical, lorsqu’on administre de la testostérone pour traiter par exemple les problèmes de mémoire.»

La «langue gaie»
Une autre série de tâches a porté sur la parole elle-même, cette fois avec la collaboration de 40 sujets qui devaient prononcer 30 syllabes distinctes combinant toutes les consonnes et toutes les voyelles. Comme l’exercice précédent, celui-ci a montré une nette corrélation inverse entre le taux de testostérone et la durée de prononciation des syllabes: les mesures temporales et spectrales révèlent que plus le taux de testostérone est bas, plus la syllabe est allongée. Ceci vaut tant pour les voyelles que pour les consonnes fricatives pouvant s’étirer comme s et ch.

La différence de durée, aux deux extrémités de l’échantillon, est de 100 millisecondes (ms). «Le sujet dont le taux de testostérone était le plus élevé a produit des fricatives d’une durée moyenne de 140 ms et des voyelles d’une durée moyenne de 90 ms, tandis que celui qui avait le taux le moins haut a produit des fricatives d’environ 240 ms et des voyelles d’environ 180 ms», précise Charles Lamoureux.

Des travaux effectués par d’autres chercheurs sur la durée des syllabes ont établi une corrélation entre la durée et l’orientation homosexuelle, ce qui a conduit à la théorie sociolinguistique dite de la «langue gaie». Selon cette théorie, les homosexuels adopteraient une prononciation caractéristique afin de se distinguer et de se reconnaitre.

Charles Lamoureux est d’avis que ses résultats remettent en question cette théorie. «Notre découverte inattendue laisse croire que plusieurs des caractéristiques phonétiques liées à l’orientation sexuelle ne sont pas d’origine sociale, mais découlent principalement de facteurs d’ordre biologique», affirme-t-il.

Sans rejeter totalement le facteur social, il fait remarquer que ce genre de travaux permet de constituer un ordre dans les facteurs causaux: «Les stéréotypes peuvent être amplifiés par la culture, mais ils ont d’abord des bases biologiques.»

Le chercheur et son directeur considèrent par ailleurs qu’une hypothèse évolutionniste proposée pour expliquer ce genre de différences intersexes donne un sens à ce qu’ils ont observé. Selon l’hypothèse, les habiletés masculines ayant été retenues notamment pour l’adaptation à la chasse, le besoin de vocabulaire aurait été moins utile pour les hommes que pour les femmes, ces dernières devant assurer les soins des enfants, ce qui demande une communication plus développée. Pour les hommes, un surcroit de vocabulaire pourrait même être un désavantage lorsque, en contexte de chasse ou de combat, une action rapide est essentielle.

Daniel Baril

Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.