Édition du 7 février 2005 / volume 39, numéro 20
 
  Publier en anglais est incontournable
Un grand nombre de chercheurs ne peuvent éviter de publier en anglais, mais plusieurs travaillent à la vitalité des échanges en français

La question de la langue se pose inévitablement pour les chercheurs.

À l’Université de Montréal et dans les universités francophones où travaillent des chercheurs de renommée internationale, une forte proportion de professeurs d’expression française rédigent aujourd’hui plusieurs de leurs rapports de recherche dans la langue de Shakespeare. Et rien ne laisse croire à une atténuation de la tendance, au contraire.

Ce n’est en effet un secret pour personne, un curriculum vitæ d’universitaire digne de ce nom doit faire état de publications en langue anglaise. Qu’ils optent pour la revue Nature ou pour l’American Journal of Political Science, nos chercheurs ne briguent cependant pas les pages des magazines pour la plupart américains et britanniques sans raison. Les chercheurs interrogés par Forum nous ont confié que ce choix leur permet en général de diffuser les résultats de leurs recherches à plus grande échelle. Ils s’ouvrent ainsi au monde entier et suscitent l’admiration de leurs collègues en évoluant dans les ligues majeures.

Qu’en est-il alors de la place du français dans les publications scientifiques? Que penser du nombre faramineux de recherches d’envergure menées par des francophones publiées uniquement en anglais? D’aucuns pourraient certes y déceler les indices d’une problématique et se demander ce qu’il advient des chercheurs qui ne maitrisent pas bien la langue anglaise. Le bilinguisme donne-t-il une longueur d’avance?

Publier en anglais oui… mais aussi en français pour les collègues

Daniel Valois

Publier en anglais semble faire partie des incontournables de la vie d’universitaire. C’est du moins ce que constatent à l’unisson les chercheurs de l’UdeM interviewés, qui ne remettent pas en question l’universalité de la langue anglaise à titre – assez ironiquement – de lingua franca de la publication scientifique internationale.

Il ne faut toutefois pas croire que cela empêche nos chercheurs de rédiger également des articles dans la langue de Molière ou de «discuter boulot» avec leurs collègues et leurs étudiants francophones. Bon nombre d’entre eux pensent d’ailleurs que le français a sa place dans le milieu de la publication, même si elle se révèle en fait plus modeste.

Le professeur de philosophie Michel Seymour, dont on peut lire les articles dans plusieurs revues anglophones – notamment le prestigieux Journal of Philosophy – est actuellement en sabbatique. Il en profite pour se consacrer à ses préparatifs de voyage; il prévoit se rendre à l’Université Cornell et à l’Université de New York (Albany), avant de s’envoler pour l’Université Open et la

 Nicole Valois

London School of Economics (Royaume-Uni), pour y présenter ses articles en langue anglaise et rencontrer ses homologues de l’étranger. Il sera également présent au congrès annuel de l’Association francophone pour le savoir à Chicoutimi, le printemps prochain, afin de discuter de ses travaux avec d’autres philosophes d’expression française.

Publier en anglais ne semble cependant pas l’avoir éloigné de ses collègues et de ses étudiants francophones. Discuter avec eux est tout aussi incontournable, selon lui, même si une certaine tension est perceptible. «Nous devons assumer une responsabilité morale envers notre propre collectivité, celle de communiquer les résultats de nos recherches en participant à des activités d’enseignement et à des conférences en langue française», affirme-t-il.

Le professeur de linguistique Daniel Valois partage d’ailleurs les mêmes convictions. Ce spécialiste relève d’une faculté analogue à celle où travaillait le célèbre linguiste américain Noam Chomsky et publie, lui aussi, la plupart de ses articles en anglais. Il a notamment dirigé en 2000 la publication d’un livre rassemblant les écrits de linguistes des quatre coins du monde à propos de

 Michel Seymour

l’acquisition de la langue française, l’un de ses champs d’intérêt. Il s’agit d’un exploit rarissime, puisque le livre se révèle être en fait une monographie rédigée en français par plusieurs auteurs étrangers pour la plupart non francophones. C’est bien sûr grâce à leur passion de la linguistique française qu’ils ont pu exprimer leurs pensées en français. Cet ouvrage – qu’a fait paraitre la très estimée Revue canadienne de linguistique – a permis au professeur Valois de mettre à l’avant-scène un sujet toujours absent des revues de langue anglaise qui suscite un réel intérêt chez les francophones.

Voilà un projet qui semble toutefois plus difficile à réaliser dans le domaine des sciences médicales. Michel Bergeron, cofondateur de la revue médicale de langue française Médecine/ Science, semble nager à contrecourant. Sa revue franco-québécoise publie depuis une vingtaine d’années des articles en français sur la recherche en sciences médicales.

Michel Bergeron

Professeur à la Faculté de médecine, le Dr Bergeron n’ignore cependant pas que le monde médical a les yeux rivés sur des revues de langue anglaise comme le New England Journal of Medicine et le British Medical Journal parce qu’on y rapporte les grandes découvertes. Il insiste toutefois sur l’importance de diffuser les connaissances en français. «Nous sommes financés par les contribuables; j’estime qu’ils ont le droit de connaitre les résultats de nos recherches», indique-t-il, avant d’ajouter qu’il croit également qu’il est plus facile de traiter un sujet complexe dans sa langue maternelle.

Travailler dans les deux langues

Marie-Claude Rousseau

Marie-Claude Rousseau semble pour sa part tout à fait en mesure d’expliquer en anglais des données complexes sur les risques pour la santé de tel comportement ou environnement. L’épidémiologiste est en effet aussi à l’aise en anglais qu’en français, sa langue maternelle, pour rédiger ses articles. Elle a d’ailleurs été interviewée par Forum peu avant son départ pour Seattle, où elle allait présenter son projet de recherche sur le lien entre le diabète et le cancer du foie, l’automne dernier.

Mme Rousseau a obtenu son baccalauréat à l’UQAM et sa maitrise et son doctorat à l’Université McGill avant d’effectuer ses études postdoctorales à l’Université de Montréal. Elle affirme qu’étudier en anglais lui a été fort utile tant pour arrêter la terminologie utilisée dans son domaine que pour acquérir une certaine habileté à s’exprimer par écrit. «J’ai ainsi eu davantage de facilité à me faire publier.»

Elle estime toutefois que les épidémiologistes anglophones auraient avantage à étudier en français. Une bonne connaissance de cette langue ouvrirait plus grandes les portes des cliniques québécoises qui financent leurs recherches.

Pour sa part, la sœur de Daniel Valois, professeure à l’UdeM, nous confie que si son frère maitrise si bien la langue anglaise aujourd’hui, c’est grâce à sa passion de jeunesse pour le baseball. Il s’est en effet familiarisé avec cette langue en lisant toute l’information sur les joueurs dans les revues de sport américaines. Sa connaissance de l’anglais a pesé dans la balance lorsqu’il a décidé d’étudier à l’Université de Toronto et à UCLA.

Nicole Valois enseigne à l’École d’architecture de paysage. Elle met actuellement la dernière main à son tout premier article, qu’elle entend soumettre à une revue américaine. Sa décision tient davantage compte du type d’écrit publié par la revue (son article traite d’art public) que de la langue de publication.

La professeure Valois, qui n’a jamais ouvert de revues de sport de sa vie, n’a pas acquis la même maitrise de la langue anglaise que son frère. Elle a prévu retenir les services d’un traducteur pour son article.

Un véritable bain de langue

Certains universitaires francophones éprouvent de la difficulté à rédiger en anglais; aucun membre du corps professoral ne fait dissidence sur ce point. Mais tous sont également unanimes sur le fait que l’exposition à la multitude de publications scientifiques en langue anglaise et la vie dans une ville bilingue contribuent à rendre le monde de la publication majoritairement anglophone un peu plus familier.

La direction de l’Université abonde d’ailleurs dans le même sens. Elle semble avoir admis que l’anglais est devenu l’espéranto de la publication scientifique. Elle n’a établi aucune directive sur la langue à utiliser dans les publications. Alain Caillé, vice-recteur à la recherche, précise que le choix appartient à chaque professeur.

Cela dit, l’Université est sensible à cette problématique. M. Caillé affirme que les départements et facultés pourraient bientôt obtenir de l’aide pour mettre sur pied un bureau de rédaction. Ainsi, les chercheurs pourraient avoir un coup de main pour clarifier les résultats de leurs recherches ou mieux expliquer leurs pensées en français ou dans la langue de prédilection qu’est l’anglais.

Philip Fine
Traduit de l’anglais par Jacynthe Juneau



 
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