Édition du 10 février 2003 / volume 37, numéro 20
 
  De nouvelles armes contre le cancer: thé vert, brocoli, bleuets…
Richard Béliveau traque les molécules antiangiogéniques dans les aliments.

 

Dans l’aile de cancérologie de l’hôpital Sainte-Justine, le bureau du Dr Richard Béliveau a des allures de temple shintoïste: collection de sabres japonais, murs vermillonavec calligraphies sur soie, théière japonaise sur table de bois laqué. 

Au mois de janvier 2002, l’équipe du Dr Richard Béliveau s’est fait connaître par les résultats de ses travaux publiés dans Cancer Research et qui démontraient que le thé vert avait un effet pharmacologique avéré sur la prévention et le traitement des tumeurs cancéreuses.

«Il existait déjà des données dans la littérature selon lesquelles les populations japonaise et chinoise, qui consomment beaucoup de thé vert, souffraient moins de cancers. Ces études épidémiologiques nous ont intrigués. Nous avons voulu voir ce qui se cachait derrière ce phénomène», explique le Dr Béliveau, professeur associé au Département de physiologie de la Faculté de médecine et chef du Laboratoire de médecine moléculaire du Centre de cancérologie Charles-Bruneau de l’hôpital Sainte-Justine.

En testant différentes molécules comprises dans le thé vert sur des lignées de cellules cancéreuses, l’équipe a découvert que certaines d’entre elles, les catéchines, inhibaient la croissance des vaisseaux sanguins alimentant les tumeurs. Ces travaux ont montré que la consommation de une à deux tasses par jour de cette boisson serait suffisante pour entraîner des effets bénéfiques.

Nutrathérapie

Depuis cette publication, les 48 membres de l’équipe du Dr Béliveau ont redoublé d’efforts pour savoir si d’autres aliments pouvaient être efficaces contre le cancer. Déjà, ils ont trouvé des molécules actives dans le chou, le brocoli, le soya, les bleuets, les tomates… et les recherches se poursuivent. Les découvertes de l’équipe sont tellement prometteuses que le Dr Béliveau a choisi de nommer cette toute nouvelle branche la nutrathérapie. «On veut faire écho à la chimiothérapie, qui a recours à des molécules synthétiques. On procède exactement de la même façon, avec des études pharmacologiques, épidémiologiques et cliniques, mais on utilise des molécules naturelles. C’est une révolution de concept.»

Dans le soya, les chercheurs ont isolé une molécule appelée génistéine. Les recherches ont démontré qu’elle possédait le même mécanisme d’action que le Gleevec ou l’Iressa, deux médicaments employés dans la lutte contre le cancer. «C’est incroyable tout ce qu’on découvre dans les aliments. Et pourtant, le travail est à peine amorcé dans ce domaine.» Comme manger du brocoli ne comporte aucun risque et n’entraîne pas d’effets secondaires, la nutrathérapie peut être testée immédiatement chez les patients.

En collaboration avec les Drs Albert Moghrabi et Stéphane Barrette, tous deux du Département de pédiatrie, et la Dre Josée Dubois, du Département de radiologie, radio-oncologie et médecine nucléaire, le Dr Béliveau a déjà commencé à proposer une diète thérapeutique aux enfants traités en clinique. Des essais chez les adultes ont également débuté à l’hôpital Notre-Dame et à l’Hôpital général de Montréal. «Il ne s’agit évidemment pas d’une thérapie de remplacement, mais d’une thérapie additionnelle. Plutôt que de renvoyer le patient chez lui et de lui dire de manger n’importe quoi, on lui suggère de suivre cette diète. Cela ne peut pas nuire, ça c’est sûr.»

Les modes de fonctionnement

Certaines des molécules présentes dans les aliments de tous les jours possèdent le même mécanisme d’action que les médicaments conçus dans les laboratoires des compagnies pharmaceutiques. Particulièrement, elles ciblent les cellules cancéreuses pour les détruire. Ce sont des molécules cytotoxiques. Mais une tout autre catégorie de molécules intéresse encore davantage l’équipe du Dr Béliveau. Ces molécules sont dites antiangiogéniques.

Pour survivre, les cellules tumorales ont besoin de vaisseaux sanguins qui leur apportent l’oxygène et le glucose nécessaires à leur croissance. La multiplication des vaisseaux sanguins autour des tumeurs est un phénomène qu’on appelle angiogenèse. L’objectif des thérapies antiangiogéniques est d’attaquer les vaisseaux sanguins. Privées de nutriments, les cellules tumorales sont asphyxiées et meurent. C’est ainsi qu’agissent les catéchines qu’on trouve dans le thé vert. «Un atout de l’antiangiogenèse, c’est qu’elle est amplificatrice, explique le chercheur. En effet, chaque cellule sanguine est responsable de la survie d’une centaine de cellules cancéreuses. Pour 1 cellule endothéliale détruite, 100 cellules tumorales meurent. Avec les thérapies cytotoxiques, il faut tuer chacune des cellules cancéreuses. Or, une tumeur de un centimètre de diamètre compte environ un milliard de cellules. Si l’on en tue 99 %, il en reste encore des millions. Il suffit d’une seule cellule tumorale pour que la tumeur récidive.»

Du laboratoire à la clinique

En plus de chercher de nouveaux aliments aux propriétés cytotoxiques ou antiangiogéniques, l’équipe du Dr Béliveau s’affaire à déterminer quelles quantités de ces aliments doivent être consommées quotidiennement pour produire un effet pharmacologique. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il n’est pas nécessaire d’en ingérer des quantités astronomiques. Une demi-tasse de chou ou de brocoli peut suffire.

Aussi, tout comme les thérapies traditionnelles qui traînent dans leur sillage un cocktail de médicaments, le Dr Béliveau suggère la combinaison d’une douzaine d’aliments. Les effets synergiques comptent pour beaucoup dans la diète mise au point par l’oncologue. Pour ceux qui n’aiment pas les légumes ou le thé vert, il existe des comprimés.

Sera-t-il possible d’évaluer l’incidence de la nutrathérapie chez les patients? Les effets bénéfiques ne risquent-ils pas de se confondre avec ceux qu’apportent les thérapies classiques? «Pas vraiment, répond le Dr Béliveau. Malheureusement, pour le genre de tumeurs auxquelles on s’attaque, les médicaments sont peu efficaces. Ils permettent de prolonger la vie des patients tout au plus. Il sera assez aisé de constater l’influence positive de la diète sur la santé des patients.»

En attendant les résultats, le chercheur déploie beaucoup d’efforts pour comprendre les mécanismes d’action des aliments. «On ne guérira jamais le cancer sans comprendre, affirme le chercheur. Pour cette raison, nous avons besoin d’un grand nombre de chercheurs et d’un financement considérable.

En plus de ses activités en recherche fondamentale, le Dr Béliveau tient à garder un lien avec les milieux cliniques. «Mon laboratoire oscille entre ces pôles: la recherche fondamentale, la pharmacologie et l’application clinique. C’est le secret de notre succès.»

Dominique Forget
Collaboration spéciale







 
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