Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 5 - numéro 1 - octobre 2005
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Psychologie

Les vétérinaires sont affligés par le deuil

C’est l’amour des bêtes qui conduit les vétérinaires à choisir leur profession. Mais une de leurs principales interventions, lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, consiste à euthanasier des chiens et des chats en pleine santé. « C’est très éprouvant pour eux. Ils ont été formés pour prodiguer des soins aux animaux malades, mais ils doivent souvent les aider à mourir », signale Anne-Marie Lamothe.

Mme Lamothe vient de déposer une thèse de doctorat sur le deuil chez les vétérinaires au Département de psychologie de l’Université de Montréal. Un sujet méconnu et totalement ignoré jusque-là dans la littérature scientifique. « Il existe plusieurs études sur le deuil des personnes à la suite de la perte de leur animal favori, mais aucune, à notre connaissance, n’a porté sur les émotions vécues par les vétérinaires », explique cette clinicienne qui travaille, entre autres, auprès des jeunes et des adultes toxicomanes à Mascouche, au nord de Montréal. Les émotions des vétérinaires à l'égard de la mort des animaux peuvent être dévastatrices. Sur la quarantaine de « Drs Doolittle » qui ont collaboré directement ou non avec la chercheuse, plusieurs ont éclaté en sanglots au cours des entrevues et quatre ont même confié avoir pensé au suicide dans les premières années de leur pratique.

Les vétérinaires seraient-ils sujets à la dépression ? « Nous ne possédons pas de statistiques sur cette question au Québec. Mais on sait qu’aux États-Unis le burnout, le suicide et la dépression guettent les vétérinaires plus que la population en général », affirme Mme Lamothe. Dans sa recherche, elle a sélectionné 30 vétérinaires québécois dont la pratique était concentrée sur les animaux de compagnie. Chaque entrevue, d’une durée de 90 à 120 minutes, comportait 94 questions dont certaines très ouvertes, par exemple « Comment vous sentez-vous après une euthanasie difficile ? » Dans l’analyse de contenu, les émotions stimulantes liées à la pratique (sentiment de compétence, le fait de se sentir apprécié) ont été prises en considération autant que les accablantes : culpabilité, tristesse, impuissance.

Même si le mot « deuil » n’était jamais prononcé par l’étudiante, il est apparu évident que celui-ci décrivait le mieux la situation vécue par les professionnels. « Les vétérinaires vivent des réactions émotionnelles qui s’apparentent au deuil vécu lorsque l’on perd un être cher, écrit Anne-Marie Lamothe dans la conclusion de sa thèse. Le deuil vétérinaire n’est habituellement pas causé par la mort d’une bête en particulier, mais résulte plutôt des nombreuses pertes qui le touchent. »

Différents scénarios de mort animale provoquent le « deuil vétérinaire », mais le plus malaisé à vivre est sans doute celui où il faut écourter la vie pour des raisons injustifiées. Ainsi, des gens n’hésitent pas à faire mourir leur chien parce que sa couleur ne s’harmonise pas avec le nouveau mobilier du salon... Heureusement, les techniques de mise à mort se sont légèrement « humanisées » au cours des dernières années. Un vétérinaire d’expérience a avoué n’avoir jamais oublié sa première euthanasie, par injection intracardiaque. « C’était très violent. Les chats braillaient. Ma première euthanasie a été une mauvaise expérience », s’est-il exclamé. La première est souvent l’une des plus traumatisantes, car les jeunes qui la pratiquent constatent avec effroi qu’ils répèteront cette intervention plus souvent qu’à leur tour. « C’est souvent à eux qu’on demande de faire les euthanasies. Ils ne sont pas préparés à ça », déplore Mme Lamothe.

En fait, le vétérinaire passe beaucoup plus de temps avec des êtres humains qu’avec des animaux. Les hommes et les femmes, sans parler des familles entières, qui se présentent avec leur animal blessé ou malade dans leurs bras sont très souvent affectés émotivement. Le vétérinaire devient, malgré lui, un spécialiste de la relation d’aide, voire un thérapeute autodidacte. Selon la diplômée en psychologie, la formation des étudiants comporte des lacunes. « Les vétérinaires devraient suivre un cours de psychologie afin de savoir comment interagir avec leurs clients. Mais un seul cours en cinq ans, est-ce suffisant ? »

 

Chercheuse :

Anne-Marie Lamothe

Courriel :

Anne-marie.lamothe@sympatico.ca

Téléphone :

(450) 968-0363

 



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