Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 5 - numéro 1 - octobre 2005
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Sociologie

Approche client chez les danseuses nues

Fidélisation de la clientèle, vente personnalisée, avantages concurrentiels... Quand elles avancent leur tabouret pour offrir une « danse à 10 » à un client, les danseuses nues adoptent des stratégies empruntées au monde du commerce, semblables à celles qu’on enseigne dans les écoles de gestion.

C’est ce qu’a pu conclure Shirley Lacasse à l’issue d’une observation minutieuse du travail des danseuses érotiques dans deux bars de la région de Montréal. Pendant un an, l’étudiante au doctorat de l’Université de Montréal s’est rendue presque chaque soir dans l’un ou l’autre bar où avaient lieu ces spectacles afin de mener des entretiens avec 31 danseuses et de les observer. Cette approche ethnologique lui a permis de lever le voile, si l’on peut dire, sur une profession à peu près jamais explorée par les universitaires québécois. « On a beaucoup dit que ces femmes étaient victimes d’un rapport de domination basé sur l’exploitation sexuelle, explique M me Lacasse, qui, en plus d’un doctorat, est titulaire d'un baccalauréat en sexologie et d'une maitrise en criminologie. Je ne suis pas d’accord avec cette analyse. Dans les faits, ce sont des travailleuses autonomes qui fixent les conditions d’échange de leurs services avec la clientèle. Les plus habiles tirent le meilleur parti de leur clientèle. »

Par exemple, on pourrait penser que les plus jeunes et les plus jolies gagnent plus d’argent que les femmes qui exercent la profession depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Il n’en est rien. « Des filles bouclent leur soirée avec 50 $ dans leurs poches, d’autres avec 500 $. La différence entre les deux se situe dans la gestion de leurs compétences », fait remarquer M me Lacasse, dont la thèse de plus de 200 pages s’intitule « Le travail des danseuses nues : au-delà du stigmate, une relation de service marchand ».

Soir après soir pendant 12 mois, la doctorante s’est donc rendue dans deux bars érotiques (l’un à Montréal et l’autre à l’extérieur de l’ile) et, grâce à deux femmes qui lui ont servi d’intermédiaires, elle a pu établir une relation de confiance avec des dizaines de danseuses. Tenant quotidiennement un journal de terrain, elle a accumulé une mine d’informations à leur sujet. Son doctorat, analyse et rédaction comprises, s’est étendu sur près d’une décennie.

Bien qu’elle ne prétende pas avoir constitué un échantillon scientifique de l’ensemble des danseuses nues, la chercheuse a tenté de bien représenter le milieu. Son étude révèle quelques surprises. D’abord, le tiers des femmes rencontrées n’avaient pas terminé leurs études secondaires, mais presque autant avaient étudié au cégep ou à l’université. Par ailleurs, l’âge des répondantes est plus élevé qu’on pourrait le penser : 28 ans en moyenne dans le bar montréalais et 35 dans celui situé en banlieue. La majorité des femmes exercent ce métier depuis plus de 10 ans et plus de la moitié ont des enfants.

Shirley Lacasse insiste, tant dans sa thèse qu’en entrevue, sur le fait que les danseuses sont injustement stigmatisées par la population et les médias. Quand on analyse objectivement leur réalité, indique-t-elle, on constate qu’elles sont beaucoup plus en contrôle de la situation qu’on pourrait le croire. « Une femme qui déteste se faire toucher les seins peut s’arranger pour attirer une clientèle qui ne l’embêtera pas avec cet aspect du travail. Et une femme qui n’est pas à l’aise pour tenir une conversation va se concentrer sur des rapports plus physiques. Ce sont souvent elles qui fixent les règles. »

Cela ne veut pas dire que le travail de danseuse nue est de tout repos. « Non, je ne le ferais pas », répond-elle quand on lui demande si elle aurait été elle-même intéressée par ce métier. Elle est parfaitement consciente des difficultés, notamment financières, que vivent ces femmes. De plus, « dans l’exercice de leur profession, les danseuses sont parfois exposées à des formes de violence physique (morsures) ou psychologique (humiliation), mais aussi à diverses transgressions (par exemple des touchers non autorisés par les danseuses) de la part de clients », écrit-elle dans sa thèse. Mais elle ajoute aussitôt : « Nos données laissent toutefois entendre que ces situations problématiques et exigeantes sur le plan de la gestion des émotions sont peu représentatives du travail quotidien des danseuses. »

 

Chercheuse :

Shirley Lacasse

Courriel :

shirley.lacasse@bdeb.qc.ca



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