Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 5 - numéro 1 - octobre 2005
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Linguistique

Qualité du français : le Québec n’a rien à envier à la France

Qu’ont en commun les mots « pourvoirie », « dépanneur », « polyvalente », « motoneige » et « aluminerie » ? Ce sont des « québécismes de création », soit des vocables que les Québécois se sont donnés afin de nommer leurs réalités. Vous pouvez les lire dans Le Devoir mais pas dans Le Monde.

En fait, sur le plan de la vitalité et du dynamisme, le français des Québécois n’a rien à envier à celui des Français. Tel est le constat qui se dégage d’une étude comparative de doctorat de Marie-Éva de Villers. L’auteure du Multidictionnaire de la langue française (Québec Amérique) a en effet scruté les 25 000 articles du quotidien Le Devoir et les 52 405 du quotidien Le Monde publiés au cours de l’année 1997. Que de mots : 13 millions pour Le Devoir et 24 millions pour Le Monde ! Une fois éliminées les répétitions, il est resté 25 000 mots dans l’un ou l’autre quotidien.

L’attention de Mme de Villers s’est notamment portée sur les québécismes, soit des mots venus de France et qui ont disparu dans ce pays (« achalandage », « avant-midi », « écornifler »), des mots empruntés à d’autres langues (« atoca », « achigan ») ou des mots créés ici pour nommer des réalités nouvelles ou qui nous sont propres ou encore pour éviter un emprunt à l’anglais (« acériculture », « courriel », « téléavertisseur » ). Or, cette dernière catégorie est la plus importante, représentant 68 % de tous les québécismes relevés exclusivement dans Le Devoir.

« L’innovation constitue le principal facteur de différenciation des vocabulaires des quotidiens québécois et français et témoigne d’une créativité lexicale qui puise fondamentalement aux sources du français », écrit Mme de Villers. Se trouve ainsi clairement démontrée « la volonté inébranlable, depuis la conquête anglaise, de ne pas démissionner devant le raz-de-marée anglo-saxon ».

Il reste que les recoupements entre les vocabulaires français et québécois sont considérables : 77 % des mots, et davantage si l’on supprime les formes suffixées telles que « bouchardiste », « eurocrate » ou « haussmanien ». La diplômée a elle-même été surprise, car « j’aurais pensé qu’il y aurait eu une plus grande richesse de mots dans Le Monde ». Or, « le vocabulaire du quotidien français n’est pas plus étendu ». En revanche, elle n’a pas été étonnée de la vitalité linguistique québécoise : « Les discours passéistes et pessimistes sur la langue étaient contraires à tout ce que je percevais intuitivement. » La thèse de Mme de Villers paraitra cet automne sous la forme d’un essai chez Québec Amérique. L’ouvrage s’intitule Le vif désir de durer : illustration de la norme réelle du français québécois. Le titre évoque un recueil de poèmes que Paul Éluard a dédié à sa femme : Le dur désir de durer. Il sera en librairie le 28 septembre. Ce livre est écrit dans un style que l’auteure souhaite accessible à tous ceux que la question linguistique intéresse, pas uniquement aux spécialistes.

Monique Cormier, professeure au Département de linguistique et de traduction de l'Université de Montréal, a dirigé la thèse de la doctorante. Elle salue « la précision et la finesse incomparables » avec lesquelles la recherche a été menée. Celle-ci a permis de démontrer que « la norme qui est présente dans la lexicographie québécoise ne correspond pas à la norme réelle qui se dégage de l’analyse de son corpus », commente Mme Cormier. Pour la lexicographe réputée, un tel projet doit être nourri de beaucoup de passion. Et ce sentiment, elle le doit à son père, qui lui a communiqué son amour des dictionnaires. « C’est mon père qui a planté le gland, dit Mme de Villers avec émotion. Lorsque j’avais six ou sept ans, il m’a offert un dictionnaire Larousse en images. Je l’ai gardé longtemps sur ma table de chevet. Je me suis mise à adorer les dictionnaires. Mon père m’en achetait souvent. »

 

Chercheuse :

Marie-Éva de Villers

Courriel :

Marie-Eva.de-Villers@hec.ca

Téléphone :

(514) 340-6792



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