Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 5 - numÉro 2 - FÉvrier 2006
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Criminologie

Les policiers et soldats homosexuels souffrent d’isolement

Pierre, 47 ans, qui est dans les Forces canadiennes depuis 15 ans, vit avec une certaine difficulté sa marginalisation depuis que les soldats de son bataillon savent qu’il est homosexuel. « Il y a un vide autour de moi et je vis de l’isolement », a-t-il confié à la criminologue Michèle Fournier dans le cadre de sa thèse de doctorat qui vient d’être déposée à l’Université de Montréal.

Quand Pierre est en mission, le moment de dérouler le sac de couchage est toujours un peu particulier. « Si je m’installe au début, j’ai remarqué que les gars vont tous aller à l’autre bout de la tente. » Dans les douches, c’est encore plus évident : personne ne veut avoir à se laver en compagnie d’un « fifi », d’une « tapette ». « Il y a des jokes méchantes qui se font dans l’armée sur les homosexuels. Si les gens savaient que je suis gai, j’en entendrais beaucoup plus. On me provoquerait, je suis convaincu de ça », affirme Carl, de Québec, qui est dans l’armée depuis trois ans mais tient à garder secrète son orientation sexuelle.

Dans la première thèse rédigée au Québec sur l’homosexualité dans l’armée et la police, Michèle Fournier a pu obtenir les témoignages de 10 militaires et de 11 policiers gais, auxquels elle a ajouté deux entretiens avec des officiers hétérosexuels des deux institutions. La thèse, qui totalise 433 pages, fait état d’un bon nombre de problèmes liés à l’identité sexuelle, mais conclut sur une note positive. « Il est aujourd’hui possible pour les homosexuels de mener une carrière dans l’armée et dans la police, ce qui aurait été impensable il y a quelques années, peut-on lire. Bien que les choses ne soient pas toujours faciles, notamment pour les militaires, et que des améliorations puissent toujours être apportées, du côté tant des institutions que de leurs membres, l’armée et la police ont fait d’importants progrès en matière de tolérance et d’acceptation de la différence. »

Pierre souligne par exemple qu’il lui est possible de vivre son homosexualité sans souffrir d’ostracisme. Comme lui, un nombre grandissant de militaires font leur coming out en assumant les risques auxquels ils s’exposent. « Pour moi, ça ne fait aucune différence si le gars ou la fille peut faire le travail, qu’il soit gai ou qu’elle soit lesbienne. On n’est plus dans les années 50, il faut que l’armée évolue », déclare un militaire de carrière (hétérosexuel) qui témoigne des changements de mœurs constatés par la criminologue.

Il faut dire que, jusqu’en 1988, le fait d’être homosexuel était suffisant pour être renvoyé de l’armée canadienne. Cette année-là, on a officiellement « toléré » les gais dans les rangs, mais toute promotion leur était interdite. En 1992, ce motif de renvoi, basé sur l’orientation sexuelle, était définitivement déclaré contraire à la Charte canadienne des droits et libertés et rejeté.

Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, cette situation prévaut encore de nos jours. Durant le mandat du président Bill Clinton, la politique du « Don’t tell, don’t ask » a eu gain de cause. Elle signifie : «Ne dites pas que vous êtes gai, on ne vous posera pas de questions.» Toutefois, si un militaire est reconnu homosexuel, on le met à la porte. La discrimination envers les homosexuels dans l’armée américaine est dénoncée par les groupes gais. Ceux-ci ont leur martyr en la personne de Leonard P. Maklovitch, qui a reçu des honneurs militaires à la suite de ses faits d’armes au Viêtnam, mais qui a été banni des effectifs après avoir fait sa « sortie » à la une du Time Magazine en 1975. Bien que la Cour d’appel ait ordonné sa réintégration au sein de l’armée, celle-ci a plutôt offert au soldat une généreuse somme d’argent pour qu’il y renonce. À la veille de sa mort, Maklovitch a fait inscrire sur sa pierre tombale : « When I was in the military, they gave me a medal for killing two men, and a discharge for loving one. » (« L’armée m’a donné une médaille pour avoir tué deux hommes et m’a renvoyé pour en avoir aimé un. »)

 

 

Chercheuse :

Michèle Fournier

Courriel :

michele.fournier@videotron.ca

Financement :

Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Université de Californie, Fondation J.-A.-DeSève, Université de Montréal


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