Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 5 - numÉro 2 - FÉvrier 2006
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Économie

La délocalisation coutera 91 000 emplois au Québec

La délocalisation, ce processus par lequel des entreprises transfèrent vers l’étranger certaines de leurs activités pour diminuer leurs couts de production, pourrait couter 91 000 emplois au Québec d’ici la fin de la décennie. C’est l’équivalent de deux fois la ville de Drummondville.

Ce chiffre est avancé par Pierre Martin, professeur au Département de science politique et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines, et Christian Trudeau, étudiant au doctorat en science économique et chercheur à la Chaire. Les emplois dans des centres d’appels ont été les premiers à s’envoler vers des pays d’Asie, où la main-d’œuvre est peu onéreuse. Le phénomène passe maintenant du secteur manufacturier à celui des services.

Des exemples ? Ce sont désormais des employés indiens qui traitent les plaintes des voyageurs d’Air Canada lorsque ceux-ci égarent leurs valises entre Montréal et Toronto ; la firme SNC-Lavalin confie maintenant à sa filiale indienne des contrats naguère attribués à des ingénieurs québécois ; Bombardier Transport sous-traite également dans ce pays des travaux d’ingénierie ; et Canam y fait dessiner des poutrelles d’acier. En Chine, le concepteur de jeux vidéo Ubisoft possède un centre de développement qui rivalise avec celui de Montréal ! Comme le dit M. Martin, « c’est une nouvelle phase de la mondialisation qui rend vulnérables les gens qui étaient jusqu’alors à l’abri ».

Si cette ruée vers l’Est a de quoi nous inquiéter, aux États-Unis, on frôle la panique. L’animateur de la chaine CNN Lou Dobbs a notamment lancé une croisade contre ce qu’il appelle « l’exportation de l’Amérique ». Côté politique, la délocalisation était un thème privilégié de la campagne présidentielle de 2004. Et les élus du Congrès et des assemblées législatives des États ne sont pas restés les bras croisés. De 2003 à 2005, plus de 230 projets de loi visant à endiguer la délocalisation dans les services ont été présentés à ces instances. Les chercheurs Martin et Trudeau se sont intéressés à ces projets de loi, dont une douzaine ont été adoptés. Ils ont observé que la majorité d’entre eux visaient à limiter l’attribution des contrats publics à des entreprises américaines. Le New Jersey a voté une loi en ce sens en mai dernier. D’autres États ont choisi des mesures plus souples. Dans l’Indiana, par exemple, on accorde une préférence aux entreprises de l’État.

Ils ont aussi constaté que la délocalisation des services a créé une nouvelle dynamique politique chez nos voisins du Sud. Auparavant, quand la délocalisation frappait le secteur manufacturier, patrons et employés parlaient d’une même voix : si leur branche industrielle était menacée par la mondialisation, les deux groupes réclamaient l’imposition de mesures protectionnistes. À l’opposé, si leur domaine bénéficiait des exportations, tous deux s’affichaient en faveur de l’ouverture des marchés. Mais aujourd’hui, comme l’explique M. Martin, « ces clivages entre secteurs industriels ont été remplacés par des clivages entre le travail et le capital, ou si vous voulez par des conflits de classes ». Contrairement à ce qui se passait avant, les patrons d’une sphère industrielle peuvent à présent continuer à s’enrichir grâce à la délocalisation, tandis que les travailleurs perdent leur emploi au profit d’étrangers.

 

Chercheur :

Pierre Martin

Courriel :

pierre.martin@umontreal.ca

Téléphone :

(514) 343-2027

Financement :

ministère des Relations internationales du Québec, Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture



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