Bulletin sur les recherches à l'Université de Montréal
 
Volume 6 - numÉro 2 - FÉVRIER 2007
 Sommaire de ce numéro
 English version
 Archives

Musique

À qui appartient la musique traditionnelle ?

De plus en plus de musiciens inscrivent sous leur nom, au registre des sociétés de gestion du droit d’auteur, des musiques traditionnelles de leur communauté d’origine. Ce phénomène d’appropriation s’accélère avec les années et soulève de nombreuses questions, notamment en ce qui a trait aux droits d’exploitation des musiques traditionnelles, parfois centenaires.

Brigitte Des Rosiers, chercheuse au Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal et ethnomusicologue, étudie les aspects éthiques et juridiques de la protection des musiques traditionnelles dans ses travaux de postdoctorat. Le système de droit d’auteur, tel qu’il s’applique dans la plupart des pays, accorde aux individus un droit de propriété sur leurs compositions originales. Ce droit est limité à 50 ans après la mort du compositeur au Canada et à 70 ans dans le cas des États-Unis. Après, les œuvres passent au domaine public. Or, les musiques patrimoniales et traditionnelles, pour lesquelles il n’existe pas d’auteurs connus, sont également du domaine public. « Il est donc possible d’utiliser ces musiques et de les exploiter financièrement sans avoir à payer des droits aux communautés d’où elles proviennent », explique-t-elle.

Le premier disque du duo Deep Forest (formé des musiciens français Michel Sanchez et Éric Mouquet), paru en 1992, est un exemple de ce type d’exploitation. Les musiciens ont intégré à leurs compositions des extraits de chants tirés de disques initialement produits par des ethnomusicologues. Or, ces derniers enregistrent depuis plus d’un siècle des musiques traditionnelles dans le but d’analyser le matériel musical (transcription, conservation dans des archives). « L’ethnomusicologue travaille sur le sens que ces musiques peuvent avoir pour les sociétés qui en font usage et s’intéresse à leurs caractéristiques ainsi qu’à leurs aspects sociologiques », indique Mme Des Rosiers. Cependant, cette idée de conservation et de préservation entre maintenant en conflit avec certains intérêts économiques.

Des groupes issus notamment des communautés autochtones et aborigènes se sont élevés contre ce qu’ils estiment être des formes d’appropriation de leurs savoirs traditionnels. Ils font valoir leur droit d’exercer un contrôle juridique sur l’accès et sur la diffusion de leurs productions culturelles et artistiques. Attentive à ces revendications, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a élaboré un ensemble de propositions pour contrer l’exploitation non autorisée des musiques traditionnelles. Elle encourage principalement les communautés, groupes ou États à devenir eux-mêmes propriétaires de leur patrimoine musical. Dans son travail postdoctoral, Brigitte Des Rosiers tente de comprendre quels sont les fondements éthiques sur lesquels s’appuient ces propositions tout en réfléchissant sur l’apport de l’ethnomusicologie dans ce débat essentiellement juridique et politique. Pour la chercheuse, ces nouvelles dispositions de l’OMPI sont critiquables à bien des égards et soulèvent des questions d’ordre ethnomusicologique importantes puisqu’elles touchent à l’identité et redéfinissent les rapports entre l’individu, la musique et sa communauté.

Pour assurer cette protection, l’OMPI recommande à chaque communauté de faire l’inventaire de son patrimoine. Mme Des Rosiers croit que cet exercice est difficilement envisageable pour les sociétés nées de métissages. « Il peut être extrêmement difficile de déterminer la paternité de tel rythme ou de telle mélodie », déclare l’ethnomusicologue. Mme Des Rosiers prend comme exemple la musique créole de l’île Rodrigues (faisant partie de la république de Maurice), qu’elle a analysée lors de ses études de doctorat. « Comment cette communauté peut-elle prétendre être la propriétaire exclusive d’un répertoire musical majoritairement construit sur des emprunts à d’autres musiques, notamment européennes, dont certaines sont surement encore inscrites au registre du droit d’auteur ? » signale-t-elle.

 

Chercheuse :

Brigitte Des Rosiers

Courriel :

brigitte.desrosiers@umontreal.ca

Téléphone :

514 343-6111, poste 1-2904

Financement :

Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture, Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal



Ce site a été optimisé pour les fureteurs Microsoft Internet Explorer, version 6.0 et ultérieures, et Netscape, version 6.0 et ultérieures.