Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 2 - 6 septembre 2005
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 Archives de Forum

Les protéines de la mémoire

Delphine Gobert, étudiante au doctorat, et le professeur Jean-Claude Lacaille

La mémoire est une faculté capricieuse. On oublie ce qu’on a lu il y a deux secondes et l’on se souvient de détails sans importance de notre enfance. Et ce qu’on apprend avec facilité est moins bien retenu que ce qu’on assimile avec peine.

«Si l’on facilite trop l’apprentissage basé sur la mémorisation, cela risque d’être contre-productif», affirme Jean-Claude Lacaille, professeur au Département de physiologie de la Faculté de médecine.
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neurophysiologie cellulaire et moléculaire, le professeur Lacaille tire cette étonnante conclusion de travaux qu’il a effectués sur des protéines modulant le fonctionnement de l’hippocampe. Les résultats de la recherche, menée en collaboration avec Mauro Costa-Mattioli et Nahum Sonenberg, de l’Université McGill, étaient publiés dans le numéro du 25 aout de la revue Nature.

Un apprentissage amélioré

«L’apprentissage par mémorisation nécessite l’expression de certains gènes qui normalement sont inhibés, explique le chercheur. Cette inhibition est assurée en partie par une protéine, la GCN2, qui régule un facteur de transcription, l’ATF4, agissant directement sur l’expression des gènes en cause.» Cette inhibition est nécessaire, sinon nous serions toujours en mode d’apprentissage.

L’équipe de chercheurs a produit des souris transgéniques exemptes de GCN2 afin d’observer quel effet aurait sur l’apprentissage l’absence de cette protéine. Comme celle-ci joue un rôle dans l’inhibition de gènes liés à l’hippocampe et à la mémorisation, on s’attendait à ce que son absence facilite l’apprentissage. Mais les résultats ont révélé un mécanisme plus complexe.

La tâche à laquelle les souris ont été soumises consistait à repérer une plateforme immergée dans un bassin d’eau. Comme prévu, les performances des souris transgéniques se sont avérées supérieures à celles des souris normales: elles ont retrouvé la plateforme plus rapidement. Mais ceci uniquement lorsque l’entrainement non intensif rendait l’apprentissage plus difficile.

Ces observations comportementales ont été corroborées par des analyses in vitro de l’activité synaptique des neurones de l’hippocampe. Cette partie du travail, réalisée par Delphine Gobert, une étudiante au doctorat du professeur Lacaille, a montré que les échanges de signaux entre les neurones étaient facilités à la suite d’une stimulation non intense chez les souris transgéniques.

Atteinte du seuil

Par contre, en situation d’apprentissage intensif, qui aurait dû rendre l’apprentissage plus aisé, les souris transgéniques ont pris plus de temps que les autres à repérer la plateforme. L’analyse électrophysiologique in vitro a démontré que la potentialisation à l’échelle des synapses était également diminuée dans ce contexte. Ces résultats ont surpris les chercheurs.

«Nous pensions que les résultats allaient être les mêmes dans les deux contextes d’apprentissage, indique Jean-Claude Lacaille. La différence entre les résultats prouve que le plafond dans les capacités d’apprentissage de notre souris transgénique est atteint plus rapidement que chez la souris normale; une fois le plafond atteint ou au cours d’un apprentissage intensif, un mécanisme d’autorégulation entre en fonction pour freiner le système et éviter d’éventuels problèmes d’activation excessive.

Il peut donc y avoir des contre-indications à trop améliorer les performances de la mémoire», conclut-il.

L’expérience révèle également que les souris privées de GCN2 ont assimilé plus durablement les nouvelles informations. Les chercheurs en tirent la conclusion que la protéine en question pourrait avoir comme effet d’inhiber le stockage d’informations dans la mémoire à long terme.

Selon le chercheur, la protéine GCN2 et le facteur de transcription ATF4 sont également présents chez l’être humain et jouent le même rôle que chez la souris. Les processus qu’ils mettent en œuvre sont peut-être en cause dans certains troubles d’apprentissage. Les patients atteints du syndrome de Rubinstein-Taybi, par exemple, éprouvent des difficultés de mémorisation dues à une mutation des gènes liés à cette habileté. La maladie d’Alzheimer se caractérise elle aussi par des troubles de synthèse des protéines de la mémoire.

Cette découverte, qui constitue la première preuve génétique du rôle de la synthèse des protéines dans la régulation de la mémoire, ouvre donc la porte à un nouveau domaine de recherche sur des thérapies pharmacologiques pouvant améliorer la mémorisation. Selon Vincent Castellucci, directeur du groupe des Instituts de recherche en santé du Canada sur la transmission synaptique et la plasticité, il s’agit d’une découverte majeure dans le secteur.

Daniel Baril

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