Hebdomadaire d'information
 
Volume 40 - numÉro 2 - 6 septembre 2005
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les jeunes saumons préfèrent la nuit

Ce n’est pas la lune qui attire les poissons la nuit, soutiennent des biologistes

Une recherche démontre que les jeunes saumons sont plus actifs la nuit.

Deux heures du matin. C’est la nuit noire sur la rivière Sainte-Marguerite, au Saguenay. Bien malin celui qui pourrait voir l’extrémité de deux tubas qui remontent lentement le courant en s’arrêtant près des rochers. Ces tubas appartiennent à deux grenouilles bien particulières du genre humain armées de lampes sous-marines et de blocs-notes hydrofuges. Ce sont des biologistes de l’Université de Mon-tréal qui épient les comportements d’une espèce dont on constate depuis 10 ans le déclin partout dans l’est de l’Amérique: le saumon atlantique (Salmo salar).

Tout l’été, soir après soir, ils ont revêtu leur combinaison isothermique et pénétré dans l’eau glacée pour traquer les bébés saumons. Mais pourquoi diable plonger la nuit? «Parce que les jeunes saumons y sont beaucoup plus visibles que le jour», explique Marie-Ève Bédard, qui a dirigé une équipe scientifique, l’an dernier, afin de documenter les habitudes nocturnes des alevins et tacons, soit les saumons âgés de moins de trois ans qui n’ont pas encore gagné la mer.

Au cours de son baccalauréat en sciences biologiques, la jeune femme a levé une partie du voile sur l’activité nocturne des salmonidés. Son étude, dont les résultats paraitront sous peu dans le Journal of Fish Biology, démontre que les jeunes poissons sont principalement actifs entre 22 h et 2 h. Selon ses observations, il y aurait 50% plus d’activité durant ces quatre heures qu’avant ou après cette période.

Pour le biologiste Daniel Boisclair, ce résultat apporte une donnée de plus à la grande recherche qu’il mène depuis 10 ans sur le saumon atlantique. «Nous devons connaitre le mieux possible les conditions de vie du poisson afin de contrôler plus efficacement les facteurs qui influent sur sa survie, indique le cofondateur du Centre interuniversitaire de recherche sur le saumon atlantique. Depuis que nous savons que les alevins et tacons sont plus actifs la nuit que le jour, nous ne plongeons plus que la nuit. On se lève à midi et la journée de travail commence véritablement vers 19 h 30... jusqu’à 3 h ou 4 h.»

Pas d’effet lunaire

Si les jeunes saumons sont plus actifs en pleine nuit, c’est qu’ils risquent moins de se faire avaler par des prédateurs. Comme les jeunes saumons se nourrissent d’insectes et de larves qui dérivent avec le courant, ils doivent quitter leur poste le temps de la capture. Cela les expose au danger.

Avec un étudiant au postdoctorat, Istvan Imre, Daniel Boisclair a voulu savoir, il y a deux ans, si la luminosité de la lune avait un impact sur le comportement des poissons. «Nous avons donc comparé les observations entre les nuits sans lune et les nuits de pleine lune. Résultat: il n’y a pas de différences significatives.»

Quelques années plus tôt, Daniel Boisclair avait provoqué une certaine surprise dans le milieu scientifique en établissant que la lune pouvait influencer les poissons de lac. Mais l’explication n’était pas ésotérique. «Les poissons de lac s’alimentent d’algues, de phytoplancton et de zooplancton, qui sont très sensibles à la lumière, rappelle-t-il. Les nuits de nouvelle lune, ces sources de nourriture demeurent plus près de la surface. On y retrouve donc plus de poissons.»

Les choses sont différentes en rivière, où le poisson ne dépend pas des organismes en question, mais se nourrit plutôt d’insectes, de larves et d’invertébrés charriés par le courant. Les chercheurs n’ont donc pas été très surpris par les résultats de la présente étude. «En rivière, les alevins et tacons semblent répondre à différents facteurs externes. Par exemple, on remarque une différence entre les journées nuageuses et les journées ensoleillées, où l’on peut compter huit fois plus de poissons.»

Qualifiant d’essentielles les recherches sur le comportement des saumons à chaque étape de leur développement, Daniel Boisclair estime que les travaux d’Istvan Imre et de Marie-Ève Bédard jettent un peu plus de lumière sur l’écologie fluviale.

En tout cas, pour la jeune femme, les premières plongées nocturnes ont été une immersion déterminante dans un monde dont elle ne soupçonnait pas l’existence. «La première fois que j’ai fait de l’échantillonnage visuel, c’était dans un cours d’initiation à la recherche. J’y ai pris gout et c’est la raison pour laquelle je fais présentement une maitrise sur la modélisation d’habitat des juvéniles du saumon atlantique.»

36 sites à explorer

La recherche de Marie-Ève Bédard comporte une méthodologie exigeante. L’étudiante a d’abord repéré 36 emplacements le long de la rivière qu’elle a explorés dans leurs moindres détails: relief, température de l’eau, substrat présent, courant, profondeur, affluents, etc. Puis, avec l’aide ses assistants de recherche,
elle a participé aux travaux d’échantillonnage nocturne. Plus de 1184 poissons ont été échantillonnés.

Sur une distance de 200 m délimitée par des repères visuels, deux plongeurs en apnée devaient noter scrupuleusement chaque tacon ou alevin aperçu en remontant le courant. Un plongeur suivait la veine principale, au centre de la rivière, et l’autre remontait près de la rive, où se concentrent la plus grande partie des poissons (on en trouve de deux à cinq fois plus qu’au centre). Chaque plongée durait près d’une heure.

Marie-Ève Bédard semble étonnée de la réaction des gens à l’égard d’une telle somme de travail. Mais pour elle, c’est tout naturel. «On n’a pas fini d’en apprendre sur les habitats des saumons», dit-elle.

Elle compte d’ailleurs retourner plonger l’été prochain afin d’explorer une autre question: les jeunes saumons préfèrent-ils les grosses roches situées dans le haut d’un rapide, celles de dimension moyenne du milieu ou encore le gravier sablonneux du bas? Réponse dans un an.

Mathieu-Robert Sauvé

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