Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 11 - 13 NOVEMBRE 2006
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Qu’est devenu le «peuple du maïs»?

Claude Chapdelaine se penche sur l’énigmatique disparition des Iroquoiens décrits par Jacques Cartier

Claude Chapdelaine

En aout dernier, le premier mi-nistre du Québec annonçait une importante découverte archéologique à Cap-Rouge, près de Québec. Des archéologues auraient découvert l’emplacement du fort érigé par Jacques Cartier lors de son voyage de 1541.
«Ce site pourra nous en apprendre davantage sur les Iroquoiens décrits par Jacques Cartier», espère Claude Chapdelaine, archéologue au Département d’anthropologie. Le professeur Chapdelaine est membre du comité scientifique chargé d’étudier ce site mis au jour par l’un de ses ex-étudiants, Yves Chrétien.

Le site de Cap-Rouge représente un maillon déterminant dans la reconstitution de l’histoire amérindienne. On ne connait en effet que très peu de choses sur les tribus dépeintes par Jacques Cartier puisqu’elles avaient complètement disparu lorsque Samuel de Champlain est venu s’établir au même endroit en 1603. Cette disparition demeure un mystère.

Dans un chapitre du volume de Roland Tremblay Les Iroquoiens du Saint-Laurent: peuple du maïs (Éditions de l’Homme, 2006) – accompagnant l’exposition du même titre tenue au musée Pointe-à-Callière –, Claude Chapdelaine analyse diverses hypothèses susceptibles d’expliquer cette disparition.

Disparus
Le terme «Iroquoiens» ne désigne pas que les Iroquois mais l’ensemble des peuples de la région des Grands Lacs et du Saint-Laurent appartenant à la même famille linguistique, notamment les Hurons, les Mohawks et les Onondagas.

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Représentation d’une «maison longue», l’habitation typique des Iroquoiens.

Au cours de ses voyages de 1535 et de 1541, Jacques Cartier a repéré une dizaine de villages sur les rives du Saint-Laurent, dont Stadaconé à l’embouchure de la rivière Saint-Charles et Hochelaga sur l’île de Montréal. Il a aussi tracé le portrait de leurs habitants: des semi-sédentaires qui pratiquaient l’agriculture, habitaient des maisons longues et avaient les mêmes rituels funéraires que les Mohawks et les Hurons. Les mots rapportés par Jacques Cartier montrent que leur langue est de souche iroquoienne, mais ce ne sont ni des Mohawks ni des Hurons.

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Collier de perles en terre cuite

Selon les vestiges archéologiques, ce peuple devait comprendre au moins 10 000 individus répartis dans plusieurs dizaines de villages entre Québec et le lac Ontario. Plus de 1500 habitaient Hochelaga, le plus gros de ces villages.
 
En 1542, Jacques Cartier abandonne le poste de Cap-Rouge et Roberval fait de même l’année suivante. Ce n’est que 60 ans plus tard que la France envoie Samuel de Champlain tenter à son tour d’établir un poste sur les rives du Saint-Laurent. L’explorateur décrit des terres en friche, mais ne trouve aucune trace des Iroquoiens rencontrés par Jacques Cartier; la vallée du Saint-Laurent est complètement désertée par ses anciens habitants, qui ont littéralement disparu de la carte.

Guerres endémiques
Plusieurs hypothèses ont été formulées pour tirer au clair cette disparition: détérioration des conditions de vie due au «petit âge glaciaire», épidémies, guerres entre tribus rivales ou alimentées par la traite des fourrures.

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Fourneau de pipe à masque des Iroquoiens de l’Ontario.

Selon Claude Chapdelaine, les Iroquoiens du Saint-Laurent étaient trop nombreux et trop bien adaptés pour qu’un seul élément comme le froid ou les guerres soit responsable de leur disparition. L’archéologue plaide pour un scénario multifactoriel, mais dans lequel les rivalités entre tribus auraient eu un rôle déterminant.

«Les Iroquoiens ne menaient pas de guerres d’extermination, précise-t-il. Leurs guerres avaient plutôt pour but de faire des prisonniers à des fins rituelles. Les Iroquoiens du Saint-Laurent n’ont pas été exterminés mais plutôt assimilés par d’autres tribus qui n’avaient pas l’intention d’habiter la région.»

Selon ce scénario, de petits affrontements ou guerres d’escarmouche auraient pu dégénérer en conflits plus importants et plus violents, notamment avec la consolidation de la Ligue iroquoise des Cinq Nations. Déstabilisées et affaiblies politiquement, les tribus du Saint-Laurent auraient abandonné leur autonomie pour s’en remettre à l’autorité des plus forts au lieu de voir leurs rangs être décimés. Les principaux agresseurs seraient les Hurons de l’Outaouais, les Iroquois du Sud-Ouest et les Micmacs du Bas-du-Fleuve. «Le drame se serait joué entre 1550 et 1565», estime Claude Chapdelaine. Le professeur n’élimine pas pour autant l’influence possible des Européens – qui ont toujours continué de visiter le fleuve pour la pêche – sur le déséquilibre dont les Iroquoiens du Saint-Laurent ont pu être victimes.

Camp de réfugiés
À l’appui de son hypothèse, les descriptions de Jacques Cartier font état de palissades entourant Hochelaga, ce qui témoigne d’un état de guerre endémique avec les voisins. Toutefois, Stadaconé n’était pas fortifié. Les attaques auraient donc commencé dans le Sud-Ouest.

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Vase iroquoien du Saint-Laurent
Photos d’artéfacts:Harry Forster, Musée canadien des civilisations.

Claude Chapdelaine a par ailleurs fouillé le site iroquoien de Masson, à Deschambault, et pense qu’il pourrait s’agir d’un «camp de réfugiés»! «Les poteries qu’on y découvrent sont décorées d’épis de maïs, ce qui est typique des populations de Montréal et de l’Ouest, affirme-t-il. De plus, ces occupants ne savaient pas se servir des matériaux lithiques de la région: ils employaient le quartz alors qu’un dépôt de chert se trouvait à proximité et était utilisé par les autres tribus des environs.»

L’archéologue y voit des indices d’une culture étrangère à la région; les Iroquoiens de Masson pourraient être des exilés en provenance de villages plus au sud.

Plusieurs étapes de ce drame complexe restent à reconstituer et le site de Cap-Rouge apportera sans doute de nouvelles pièces au casse-tête. Claude Chapdelaine a d’ailleurs déjà confirmé l’origine iroquoienne de poteries et d’outils de pierre taillée retrouvés sur place.

L’exposition du musée Pointe-à-Callière se poursuit pour sa part jusqu’au 6 mai 2007.

Daniel Baril

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