Hebdomadaire d'information
 
Volume 41 - numÉro 30 - 22 mai 2007
 Sommaire de ce numéro
 Archives de Forum

Les voleurs sont plus brillants que les violents

Des chercheurs du GRIP comparent les capacités cognitives des jeunes délinquants

La «carrière» du voleur est généralement beaucoup plus longue que celle de l’agresseur.

Les voleurs ont de meilleures capacités intellectuelles que les auteurs d’actes violents. «Les résultats aux tests d’habiletés cognitives sont très clairs: les voleurs sont plus brillants que les violents», signale Jean Séguin, chercheur au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine et coauteur d’une étude dont les résultats viennent de paraitre dans la plus importante revue de psychiatrie, Archives of General Psychiatry.

Après avoir étudié la trajectoire de 698 hommes sur une période de 21 ans (de 1979 à 2000), les chercheurs ont pu mesurer les différences cognitives des uns et des autres. De façon marquée, les jeunes qu’on classe parmi les «violents» (au moins une agression armée ou un corps à corps depuis trois ans) obtiennent de moins bons résultats dans les tests cognitifs que ceux qu’on qualifie de «voleurs» (au moins un vol au cours des trois dernières années).

Les chercheurs du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP) concluent qu’il faut traiter différemment les deux catégories de délinquants. «Actuellement, les jeunes criminels violents et non violents sont indistinctement mis dans la catégorie des “troubles de la conduite”. Pourtant, voleurs et agresseurs ont des caractéristiques fort différentes. On mélange les pommes et les oranges», déplore le psychologue rattaché au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

Selon la quatrième édition du Diagnostic and Statistical Manual (DSM IV), le manuel-phare de la psychiatrie, il existe quatre types de troubles de la conduite: l’agression physique, le vol et la fraude, le vandalisme et le rejet de l’autorité. «Les troubles de la conduite devraient être reconsidérés en prenant en compte le développement de chacun de ces critères», écrivent les auteurs de l’article paru dans Archives. «En d’autres termes, nous croyons que la prochaine révision du DSM devrait inclure une modification de l’approche suggérée», résume le professeur Séguin.

Jean Séguin

Le psychologue Jean Séguin a plusieurs travaux en cours sur les troubles de la conduite chez les adolescents.

Plus de voleurs
Le professeur Séguin croit que cette découverte démontre une réalité que certains cliniciens soupçonnaient depuis longtemps, mais que les chercheurs n’étaient pas encore parvenus à prouver. Il faut dire que le comportement violent est beaucoup plus rare chez les adolescents délinquants que l’inclination au vol: 1 garçon sur 10 aura des comportements violents à l’adolescence alors que 1 sur 2 commettra des vols. De plus, la «carrière» du voleur est généralement beaucoup plus longue que celle de l’agresseur.

C’est le chercheur américain Edward D. Barker qui a permis de mener l’expérience dans le cadre de son projet postdoctoral à l’Université de Montréal. L’échantillonnage des sujets de recherche s’est d’ailleurs fait à partir d’une base de données américaine (au New Jersey), ce qui est peu courant au GRIP, qui dispose d’une des banques longitudinales les plus complètes au monde sur les jeunes délinquants. «Nous avions besoin de données regroupant des renseignements de l’enfance à l’âge adulte. Nos propres banques n’allaient pas assez loin dans l’âge adulte», explique Jean Séguin. Mais une nouvelle étude sur cette problématique, incluant cette fois des sujets québécois, est en cours.

Bien entendu, ce résultat ne prétend pas mettre un point final à la question. Les auteurs pensent que d’autres recherches doivent être entreprises afin de poursuivre notre réflexion sur l’évolution et le traitement de la délinquance. «Il est clair que l’agression physique et les autres formes d’agression commencent très tôt dans la vie. De nouveaux travaux doivent être mis en branle pour explorer l’apparition des problèmes comportementaux au cours de la petite enfance et leurs liens avec le développement cognitif à ce stade», peut-on lire en conclusion de l’article publié ce mois-ci.

Spécialiste de la neurocognition et des troubles du comportement, Jean Séguin est chercheur au GRIP depuis 1999. Ce psychologue ne reçoit pas de clients en clinique, mais il permet, par ses divers projets de recherche, de faire progresser les connaissances sur les jeunes délinquants et d’améliorer les traitements qu’on peut leur offrir.

Mathieu-Robert Sauvé

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