Édition du 20 janvier 2003 / volume 37, numéro 17
 
  Sauvetage des collections en sciences naturelles
Un travail de bénédictin en perspective pour le professeur Pierre Brunel.

 

Pierre Brunel exhibe une pieuvre Bathypolypus arcticus tirée de sa collection d’invertébrés marins. C’est l’unique espèce observée dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Le spécimen ici est le plus gros connu dans le monde.

Le Québec est la seule province canadienne, avec l’Île-du-Prince-Édouard, à ne pas avoir de musée national d’histoire naturelle. Pour Pierre Brunel, qui a consacré un demi-siècle de sa vie professionnelle à l’étude de la biodiversité de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, c’est une honte. «Cette situation fait en sorte que les chercheurs ne disposent d’aucun lieu pour conserver à long terme les collections scientifiques de propriété privée», tonne-t-il.

La chose pourrait changer bientôt, car le ministère québécois de l’Environnement a lancé à l’automne un plan quinquennal de mise en valeur de la biodiversité: la Stratégie québécoise de la diversité biologique 2002-2007. Conformément à cette politique, une subvention de près de 50 000 $ a été attribuée au Réseau québécois sur la biodiversité (RQBD), un groupe de recherche que dirige M. Brunel et qui vise à préserver ces collections peu connues du public. «Notre premier travail consistera à constater l’importance des collections. De petits comités se rendront sur place.» Le RQBD comprend 18 membres, dont un professeur retraité de l’Université du Québec à Chicoutimi, André Francœur, qui a fondé il y a plusieurs années l’Entomofaune du Québec, une société à but non lucratif qui gérera les fonds du Réseau.

Il est presque impossible d’évaluer la quantité des artéfacts d’intérêt scientifique conservés ici et là par les collectionneurs québécois. Mais des recherches menées dans les années 90 par le gouvernement canadien, par la Société canadienne de zoologie et par M. Brunel lui-même ont retracé 41 collections majeures comptant de quelques centaines à deux millions d’échantillons. La plupart de ces collections ont été constituées par des universitaires, professeurs et étudiants, qui s’en servaient pour leurs travaux. Plusieurs y ont travaillé durant toute leur carrière, bonifiant la collection au rythme de leurs voyages et y consacrant une somme inestimable d’heures.

C’est sans contredit beaucoup de dévouement, mais «cet investissement de temps et d’énergie s’est fait sans aucune planification des besoins collectifs en matière de connaissances sur la biodiversité de la part de la communauté scientifique ou environnementale», note M. Brunel. Or, ces collections risquent de devenir orphelines après le départ des chercheurs.

Collectionneurs de père en fils

Depuis la fermeture du dernier musée en importance d’histoire naturelle, en 1962, le Québec a résolument pris le parti des collections vivantes. Le Jardin botanique et le Biodôme de Montréal présentent des organismes vivants qui s’intègrent dans l’environnement et le climat qui les caractérisent. Même l’Insectarium fait une large place aux insectes bien en vie, qu’ils soient volants, rampants ou grouillants. Cette façon de faire favorise l’éducation et la vulgarisation, reconnaît M. Brunel. Mais si l’on fait exception de l’Institut de recherche en biologie végétale, où sont réunis des chercheurs du Département de sciences biologiques et du Jardin botanique, il se fait très peu de recherche fondamentale dans ces établissements.

Bien entendu, les étagères où s’alignent les échantillons d’insectes ou les feuilles d’herbiers sont moins spectaculaires qu’un écosystème avec des espèces vivantes. Pourtant, sous leurs dehors austères, les collections issues de recherches en sciences naturelles recèlent des trésors scientifiques. Ce n’est pas pour rien que 85 % des collections québécoises sont la propriété d’universités ou de leurs chercheurs. Les universités McGill et de Montréal arrivent au premier rang à ce chapitre.

Pierre Brunel sait de quoi il parle. Sa collection d’invertébrés marins de l’estuaire du Saint-Laurent et du Saguenay compte 2214 espèces et sous-espèces répertoriées dans un catalogue paru il y a cinq ans (voir Forum du 25 juin 1998). «De 10 à 100 espèces d’invertébrés disparaissent chaque jour de nos océans à cause de la pollution et de phénomènes naturels, mentionnait alors ce spécialiste de la biodiversité. C’est énorme. Mais on ne connaît pas la plupart de ces invertébrés. Pour les découvrir, il nous faut des catalogues comme celui-ci, mais personne n’a de temps ni d’argent pour ça. C’est le travail d’une vie.»

Les invertébrés benthiques (vivant dans le fond des eaux) seraient parmi les espèces animales les plus difficiles à étudier avec les insectes des forêts tropicales et les espèces qui peuplent les récifs de corail. On est même incapable d’en évaluer le nombre. La collection de Pierre Brunel revêt donc une valeur particulière.

Celle-ci est actuellement entreposée au Pavillon Marie-Victorin avec la bénédiction du Département de sciences biologiques. Les professeurs de ce département ont une longue tradition de conservation puisque deux autres collections d’importance y ont vu le jour: la collection entomologique Ouellet-Robert (qui compte la plus vaste quantité d’insectes indigènes du Québec) et la collection d’algues d’eau douce du père de M. Brunel, Jules. C’est aussi à un ancien professeur, le frère Marie-Victorin, qu’on doit l’herbier qui porte son nom et où sont rassemblés 750 000 spécimens.

La taxonomie, une science séculaire

Selon Pierre Brunel, présent quasi quotidiennement sur le campus même s’il est à la retraite, c’est à long terme qu’on peut juger d’une collection en sciences naturelles. «L’obligation de fouiller le passé écologique récent aussi bien que le passé évolutionnaire lointain pour comprendre le présent suppose un accès efficace à une bibliothèque spécialisée qui doit conserver des publications anciennes remontant jusqu’à Linné (1753 et 1758)», écrivait-il dans un article sur le sujet dans les années 90. À son avis, une proximité physique des collections est hautement souhaitable «puisqu’il faut souvent confronter les spécimens examinés avec les illustrations et les clefs d’identification présentées dans des travaux taxonomiques qu’on doit continuellement manipuler et comparer entre eux».

Il ne faut pas attendre de miracle de la subvention du ministère et du lancement de sa stratégie sur la biodiversité. Ce n’est pas demain la veille qu’on annoncera la construction d’un musée d’histoire naturelle. Le coordonnateur du projet s’attend d’ailleurs à facturer bien peu d’heures par comparaison avec le temps que lui et ses collaborateurs consacreront bénévolement au projet. Mais il se réjouit de voir le ministère manifester un intérêt pour la biodiversité. «Il y a désormais une volonté politique de faire quelque chose», affirme-t-il.

Mathieu-Robert Sauvé




Les collections de l’UdeM
Voici les collections issues de recherches en sciences naturelles menées en milieu universitaire de l’Université de Montréal (excluant les collections vivantes):
• herbier Marie-Victorin;
• collection entomologique Ouellet-Robert;
• collection phycologique Jules-Brunel;
• laboratoire palynologique Jacques-Rousseau (Pierre Richard);
• collection Pierre-Brunel d’invertébrés marins;
• collection de chauves-souris (François-Joseph Lapointe et Georg Baron);
• collection de poissons (orpheline).



 
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